Fil d'Ariane
[Pesticides] Du trafic à nos assiettes
Bien qu’interdits, certains pesticides continuent de se retrouver dans nos assiettes. Nocifs pour notre santé comme pour les écosystèmes, ces substances franchissent les frontières dans un silence inquiétant. Ce dossier s’inscrit dans le contexte d’un trafic de pesticides révélé en Drôme provençale et dans les Bouches-du-Rhône, qui illustre à quel point notre santé peut se retrouver fragilisée par les agissements de quelques-uns. Revenons donc sur la nature même des produits phytopharmaceutiques, leur utilité et surtout leurs impacts. Car dans un monde interconnecté, où la santé est à la fois commune et précieuse, il est urgent de repenser notre place.
Partie I. Des pesticides illégaux dans nos assiettes : la justice monte au créneau
3,5 tonnes de produits interdits importés depuis l’Espagne pendant plus de six ans, c’est l’ampleur d’un trafic de produits phytopharmaceutiques orchestré par des dizaines d’individus.
Cette affaire trouve ses racines dans le nord de la France, où une dizaine de maraîchers ont été poursuivis devant le tribunal correctionnel de Coutances (50) pour des activités de trafic de pesticides interdits en France. Ils ont notamment été condamnés pour mise sur le marché, détention et utilisation, en bande organisée, de produits phytosanitaires ne bénéficiant pas d’une autorisation de mise sur le marché (AMM).
Parmi eux, un agriculteur retraité faisait office d’intermédiaire entre une entreprise espagnole productrice de ces substances et de nombreux producteurs de légumes et de fruits. Lors de l’enquête, des factures ont été retrouvées à son domicile, attestant de la vente de ces produits interdits à des maraîchers et fruiticulteurs situés dans les Bouches-du-Rhône (13), mais aussi dans la Drôme (26). C’est ainsi que le parquet de Marseille a été saisi de l’affaire. Aujourd’hui, six sociétés agricoles et sept individus font l’objet de poursuites dans les départements du 13 et du 26.
L’ampleur de cette affaire est significative : les produits phytopharmaceutiques ont été importés depuis l’Espagne, mais sont interdits en France. Cela est d’autant plus préoccupant que ces échanges illégaux ont perduré pendant plus de six ans et demi, de janvier 2018 à septembre 2024.
Au total, ce sont 3,5 tonnes de produits interdits qui ont été découvertes au sein de ces exploitations agricoles. Cependant, il est impossible de savoir, à ce stade, combien de tonnes ont déjà été utilisées et déversées sur les cultures, qui représentent un peu moins de 4 000 hectares de surface agricole.
Sont concernées ici de nombreuses productions maraîchères et fruitières : melon, salade, tomate, blé, riz, artichaut, butternut, mais aussi fraise, kiwi, concombre, courgette, poire, pomme ou encore abricot. Les producteurs, tous professionnels, fournissaient même des enseignes majeures de la grande distribution, bien implantées dans nos territoires. Ces dernières, trompées par les producteurs, ont commercialisé des fruits et légumes contaminés, ceux-ci atterrissant directement dans les assiettes des consommateur·rices.
*Source : Jacquemin, F. (2025b, septembre 25). Pesticides dans l’air : où en est la région Sud ; ? Inspirons ! https://inspirons.atmosud.org/pesticides-dans-l-air-ou-en-est-la-region-sud-loi-duplomb-acetamipride-atmosud-sante-ecotoxicite/
Une audience inédite : tous·tes concerné·es
Défendre les écosystèmes, prévenir les atteintes à l’environnement et lutter contre l’utilisation inappropriée et illégale de pesticides font partie des missions de notre association. C’est au regard de ces combats et de l’ampleur de cette affaire que France Nature Environnement Auvergne Rhône-Alpes, Provence-Alpes-Côte d’Azur, et Bouches-du-Rhône, soutenues par la fédération nationale de France Nature Environnement, et avec Générations Futures et la Confédération Paysanne, se sont portées parties civiles devant le juge judiciaire.
Partie II. Histoire de contamination : retour aux sources
C’est quoi un pesticide ?
Néonicotinoïdes, diméthoate, glyphosate, SDHI, pyréthrinoïdes… Les pesticides, aussi connus sous le nom de produits phytosanitaires ou phytopharmaceutiques pour les végétaux, et de biocides pour les humains, les animaux et les matériaux, regroupent des centaines de substances actives, d’origine naturelle ou synthétique.
Chaque pesticide possède sa propre cible avec l’objectif commun de tuer les organismes vivants ou les animaux qui détériorent les cultures, plantations, matières, voire l’esthétique d’un jardin. Leurs modes d’action sont variés (imprégner toute la plante ou rester à sa surface, être préventif ou curatif…). Leur application diffère également d’un produit à l’autre (enrobage de graine, aspersion sur les plantes…) tout comme leur façon de tuer (par inhalation, par contact…).
Un enjeu de santé publique
Cancérogènes, mutagènes (toxiques pour l’ADN) ou reprotoxiques (nocifs pour la fertilité), les pesticides sont classés et reconnues comme dangereux pour notre santé. Certains font aussi partie de la famille des perturbateurs endocriniens ou appartiennent au groupe des « polluants éternels » (PFAS) car ils contaminent et persistent dans l’environnement. Les pesticides provoquent ou aggravent ainsi de nombreuses maladies (maladie de Parkinson, cancers, malformations, infertilité…) et ont des effets à long terme. Leur utilisation actuelle représenterait au minimum un surcoût de 48,5 M € pour la Sécurité Sociale.
Une menace pour l’environnement
Polluants des sols et des eaux, les pesticides font aussi partie des principaux responsables de l’érosion de la biodiversité. C’est un cercle vicieux, car la baisse généralisée des espèces et les dysfonctionnements des écosystèmes entraînent une dépendance accrue aux pesticides, car l’agriculteur ne peut plus s’appuyer sur la régulation naturelle des ravageurs sur sa parcelle.
Les pesticides font partie des principaux responsables de l’érosion de la biodiversité :
- En Europe, ils sont la première cause de déclin des oiseaux en Europe, d’après une étude qui analyse 37 années de données sur plus de 20 000 sites. Ils sont la cause directe de la baisse de 40% du nombre d’espèces d’invertébrés aquatiques dans les cours d’eau européen.
- En France, près de la moitié (44%) des oiseaux des milieux agricoles ont disparu depuis 1989, et 66% des espèces de papillons de jour ont disparu d’au moins un département en 2022.
- En France, les pollutions d’origines agricoles (pesticides et nitrates) sont la deuxième pression affectant la qualité écologique des eaux (43,3%), juste après les modifications hydromorphologiques (51,5%) qui vont souvent se cumuler.
- En Allemagne, près de 80 % des insectes ont disparu en moins de 30 ans dans les aires protégées du pays.
Une France sans pesticides ? Une transition nécessaire vers un modèle durable
En matière d’agriculture, il est aujourd’hui indispensable de passer d’un modèle d’agriculture dite conventionnelle à des pratiques agroécologique. Issu de l’interaction entre l’agronomie et l’écologie, ce modèle agricole propose de s’appuyer sur la restauration des équilibres des écosystèmes pour obtenir des cultures plus résilientes, non dépendantes des pesticides.
Producteurs et productrices, coopératives et industriels, consommateur·rices, distributeurs et restaurateurs et restauratrices s, tous·tes doivent s’engager et s’impliquer pour faire évoluer leurs pratiques. De leurs côtés, les politiques publiques doivent accompagner ces évolutions, s’érigeant en soutien d’un modèle agricole respectueux du Vivant et portant une perspective de long terme tournée vers un futur vivable.
Une seule santé : repenser notre lien au vivant
Se rappeler que nous formons un tout, en interconnexion. Toutes les espèces présentes sur Terre, font partie d’un même système. Elles cohabitent, partagent les mêmes milieux et interagissent en permanence. Ensemble, elles composent un écosystème. De cette vision globale découle le concept d’une seule santé.
« Le principe « Une seule santé » consiste en une approche intégrée et unificatrice qui vise à équilibrer et à optimiser durablement la santé des personnes, des animaux et des écosystèmes.
Il reconnaît que la santé des humains, des animaux domestiques et sauvages, des plantes et de l’environnement en général (y compris des écosystèmes) est étroitement liée et interdépendante. »
Ce concept repose donc sur cette idée fondamentale : la santé humaine, la santé animale, la santé végétale et la santé des écosystèmes sont indissociables. Si un maillon de la chaîne est fragilisé, voire détruit, c’est l’ensemble de l’équilibre écologique qui s’en trouve perturbé et avec lui notre propre santé.
Aujourd’hui, le constat est sans appel : la déforestation, l’urbanisation massive, l’agriculture intensive et la mondialisation des échanges contribuent à la destruction des écosystèmes et favorisent l’émergence de nouvelles maladies infectieuses. Ces crises sanitaires sont souvent perçues comme isolées, alors qu’elles révèlent une même origine : le dérèglement profond de notre rapport au vivant.
Dans cette perspective, l’usage des pesticides illustre parfaitement la rupture de cet équilibre. Conçus initialement pour éliminer les espèces considérées comme nuisibles, ils affectent aussi les insectes pollinisateurs, les micro-organismes du sol, les oiseaux et à terme la santé des êtres humains. Les pesticides appauvrissent la biodiversité, perturbent les cycles naturels, contaminent les ressources en eau et dégradent les sols, pourtant essentiels à la production d’une alimentation saine et nutritive.
L’espèce humaine n’est pas extérieure à la nature, elle en est une composante à part entière. Pourtant, une vision anthropocentrique du monde nous empêche de le comprendre pleinement. Décentrons-nous.
Adopter le paradigme «d’une seule santé», c’est repenser notre manière d’habiter le monde. C’est renoncer à l’exploitation aveugle du vivant pour favoriser une culture du soin et du sensible. C’est aussi une invitation à redéfinir nos modèles agricoles, à sortir de la logique chimique et industrielle pour aller vers des pratiques plus durables, agroécologiques et respectueuses de la vie sous toutes ses formes.
Il n’y a qu’une seule santé. Prenons soin de toutes ses composantes.