Prévention et gestion des déchetsQue deviennent nos déchets ? 🠒 le cas de la métropole Aix-Marseille-Provence
Pour répondre à notre défi structurel «CONSTRUIRE UNE SOCIÉTÉ PLUS ÉGALITAIRE & PLUS SOBRE - en définissant les conditions d’un modèle véritablement inclusif», le réseau «Gestion & prévention des déchets» de FNE en Provence-Alpes-Côte d’Azur cherche à mobiliser les territoires pour réduire les déchets à la source. Comment ?
Nous œuvrons sur plusieurs axes tels que l’ implication des citoyens dans les politiques locales de gestion des déchets à travers les PLPDMA, ou encore l’accélération du tri à la source des biodéchets. Aujourd’hui pour la SERD, nous choisissons d’agir sur un enjeu grand public: la perception qu’ont les citoyens de la gestion des déchets et le bien fondé du geste de tri. De là en découle des réflexions collectives sur la réduction à la source de nos déchets.
Pourquoi ce choix ?
Après avoir entendu à maintes reprises les même refrains, il nous semble primordial de déjouer les préjugés sur le tri des déchets du type “Ça sert à rien de trier, tout est mélangé!”
Si le geste de tri de nos déchets ménagers est devenu naturel pour un nombre croissant de citoyen·nes, cela reste souvent des publics sensibilisés et même dans ce cas, les filières de valorisation restent complexes. En décryptant et vulgarisant les différentes filières de gestion des déchets nous souhaitons (re)donner du sens au geste de tri et rendre visible le fait que les citoyen·es ont un impact dans l’empreinte environnementale de nos déchets.
Ces résultats d’enquête sur le cas pratique de la Métropole d’Aix-Marseille-Provence participe de cet effort.
À la fin du XIXème siècle, le préfet parisien Eugène Poubelle ordonne que soient distribués des récipients à ses administrés pour y jeter leurs ordures. Ces derniers prendront donc son nom : les poubelles.
Une fois jeté, la vie du déchet ne fait que commencer… Mais où vont chacun de nos déchets une fois qu’ils sont à la poubelle ?
Cadre juridique
Les déchets ménagers et assimilés sont les déchets produits par les ménages ainsi que les déchets des activités économiques (artisans, commerçants, administrations, hôpitaux) collectés par les services publics. C’est la Métropole Aix Marseille Provence (MAMP) qui est en charge de la collecte, le tri, du transport, le recyclage et l’élimination des déchets, selon la loi n° 75-633 du 15 juillet 1975 relative à l’élimination des déchets et à la récupération des matériaux.
Pour les entreprises, le principe du « pollueur-payeur » est appliqué, c’est-à-dire que les entreprises qui produisent des déchets doivent ensuite assumer la gestion de leurs produits une fois qu’ils sont jetés par les consommateurs. On dit que ces entreprises sont soumises à la « Responsabilité Élargie des Producteurs », et ces flux sont appelés les filières REP. Les entreprises ont le choix de soit créer leur propre système de collecte et traitement, soit faire appel à des éco-organismes, qui vont prendre en charge la gestion des déchets par flux en échange d’une contribution financière.
La loi relative à l’élimination des déchets ainsi qu’aux installations classées pour la protection de l’environnement du 13 juillet 1992 impose que seuls les déchets ultimes, soit ceux qui ne peuvent pas être valorisé, peuvent être mis en décharge. Elle introduit aussi le principe de proximité, qui veut que le gestion des déchets soit le plus proche possible de la source de production, afin de limiter l’impact environnemental du transport et encourager les entreprises locales.
La loi de transition énergétique pour la croissance verte (TECV) du 17 août 2015 impose que 55% des déchets soient recyclés en 2025, et 65% en 2035. Elle impose aussi la collecte séparée en 2024 des biodéchets, ainsi qu’une collecte séparée des textiles et déchets dangereux pour 2025. Elle a aussi étendu les consignes de tri à l’ensemble des emballages plastiques à l’échéance 2022, ce qui simplifie les gestes de tri de la poubelle jaune.
Comprendre le parcours des déchets ménagers et assimilés
Aix-Marseille-Provence : quelques chiffres
Marseille et sa métropole ont la réputation de mauvais élèves en ce qui concerne le tri des déchets. Les arguments « Mais tout va être incinéré ! » ou « Les poubelles grises et jaunes sont jetées ensemble dans les mêmes camions poubelles », ou « Avec le vent, c’est impossible de trier les déchets car tout s’échappe de la poubelle » sont des arguments qui reviennent souvent pour justifier le mauvais usage du tri dans la métropole. En effet, avec 38kg de déchets triés en 2022 par habitant, Marseille trie deux fois moins bien que la moyenne par habitant nationale, à 72kg/hab (CITEO 2022). La Métropole Aix Marseille Provence (MAMP) ne fait guère mieux, avec 41kg en moyenne de tri par habitant en 2023. Pourtant, 80% de ces déchets pourraient être revalorisés s’ils étaient bien triés (Cour des comptes 2022).
En 2023, les 1 903 173 habitants de la Métropole ont produit 1 087 264 tonnes, soit avec 571kg/hab (MAMP 2023). Cela représente au total l’équivalent de 120 fois Notre Dame de la Garde !
Ce graphique montre le bilan total des tonnages récupérés par la MAMP en 2023. La part de la poubelle grise représente plus de la moitié du tonnage total ! Les déchets de la poubelle grise qui ne peuvent pas être valorisés sont appelés les déchets ultimes.
Le tri (poubelle jaune et verte) ne représente que 7 % au total, même si tout ce qui arrive en déchèterie est aussi recyclé ou réemployé quand cela est possible (88% des déchets en déchèteries ont été revalorisés en 2023, principalement du gravat et des déchets verts).
En 2025, la France vise pourtant à atteindre un objectif de recyclage de 55 % des déchets ménagers. La MAMP est donc encore loin de l’objectif de recyclage. Par comparaison, la métropole du Grand Lyon, 3ème métropole de France en termes d’habitants, est à 11 % de recyclage dans la poubelle jaune et 7 % dans la poubelle de verre.
L’objectif est donc de mettre plus de transparence sur le circuit des déchets post-tri, afin de donner envie de mieux trier !
Les déchets valorisés
Poubelle jaune
Les déchets mis dans la poubelle jaune sont les déchets issus de la collecte sélective (hors verre) : papiers/cartons et emballages (ex : bouteilles plastiques, pots de yaourt, boites de conserve vides…).
2022 est l’année où s’est achevée la mise en place de l’extension des consignes de tri sur l’ensemble de la métropole, ce qui simplifie le tri. Le poids de la poubelle jaune a donc augmenté : on y jette désormais tous les emballages. Cependant, cela ne signifie pas que tout est recyclé. En effet, certains objets et matériaux comme par exemple les paquets de café ne sont pas encore valorisables et alimentent la filière « flux-développement », une filière de création et de développement de nouvelles filières de recyclage.
Les déchets qui sont le plus issus de la collecte sélective dans la MAMP sont en premier le verre, qui se trouve dans la poubelle verte, puis le papier, le carton et le plastique, qui représentent à eux trois plus de 80% de la poubelle jaune. Au total, les déchets de la poubelle jaune représentent 47 434 tonnes, soit environ 3 fois le Vélodrome !
Poubelle verte
La poubelle verte recueille seulement les emballages en verre. En 2023, 30 875 tonnes de verre ont été récupérées par la MAMP, ce qui remplirait le Vélodrome à 80% !
Les agents de la Métropole collectent les poubelles vertes dans les point d’apport volontaire pour les acheminer vers les verreries de Vergèze (Gard), et une autre à Béziers. Le verre est ensuite vendu directement aux recycleurs. Le verre est recyclé dans les verreries en étant refondu pour produire de nouveaux bocaux, bouteilles ou verres.
Le verre est recyclable à 100% et à l’infini. Le recyclage du verre permet d’économiser des ressources naturelles et de l’énergie. En effet, les fours de verrerie sont chauffés à environ 1 750°C là où les fours de recyclage ne sont chauffés « qu’à » 1 400°C. Cependant, une bouteille en verre ne peut pas être créee complètement avec du verre recyclé, il faut toujours de la matière neuve.
Les erreurs de tri dans la poubelle verte sont souvent des débris de miroir ou de vaisselles cassées. Il y a également des indésirables (comme les bouchons en métal ou en plastique, les anneaux des bouteilles, les étiquettes, …). La présence de ces indésirables et de ces erreurs dans les poubelles vertes peut compromettre toute la filière de recyclage.
Les biodéchets : de nouveaux déchets à trier !
Les biodéchets sont les déchets organiques issus de ressources naturelles végétales ou animales, comprenant les déchets de table et les déchets de jardin, appelés les déchets verts.
Depuis le 1er janvier 2024 (Loi TECV), toutes les collectivités en France ont l’obligation de mettre en place un système de collecte des biodéchets des ménages. Dans les faits, cela n’est pas le cas partout, notamment sur la MAMP, en cours de transformation.
Les biodéchets représentent environ 1/3 des DMA, soit environ 150kg/hab/an environ. Ils sont composés à 80% d’eau.
Trier ses biodéchets est donc écologique car cela permet de limiter au maximum la part de déchets enfouis ou incinérés et d’enrichir les sols avec de la matière organique !
Les déchets ultimes
L’enfouissement
A part les déchets de l’ex Conseil de Territoire de Marseille Provence qui vont au centre multifilière d’EveRé, tout les déchets de la poubelle grise vont à l’enfouissement, ce qui représente 54% du tonnage total de la poubelle grise.
Tri et incinération des déchets : le cas d’EveRé
EveRé est le centre qui récupère tous les déchets de la poubelle grise du conseil de Territoire de Marseille Provence, et qui arrive à en valoriser 97%. C’est le premier centre multifilière de France, et le 4e en termes de taille. Les déchets y sont amenés à 90% par train, et 10% par camion : l’acheminement par train permet d’économiser la circulation de 20 000 camions chaque jour.
Le meilleur déchet est celui que l’on ne produit pas : comment fait-on pour réduire nos déchets ?
La loi française anti-gaspillage pour une économie circulaire (AGEC) de 2020 prévoit plusieurs points, comme :
Éliminer tous les emballages plastiques à usage unique et jetables d’ici 2040
Tous les emballages doivent disposer d’une filière de recyclage d’ici 2030
10% d’emballages réemployés d’ici 2027 (système de consigne par exemple)
Remplacer la vaisselle jetable des fast-foods par de la vaisselle réutilisable
Favoriser le vrac pour réduire les emballages
Généraliser les poubelles de tri des emballages dans l’espace public
Mieux informer le consommateur : rendre le tri plus efficace grâce à un logo unique, des modalités de tri et une harmonisation de la couleur des poubelles
La loi européenne sur les emballages et les déchets d’emballages (PPWR), entrée en vigueur le 1er janvier 2024, renforce ces mesures, avec l’interdiction dès 2030 de certains type de plastiques à usage unique (emballage de fruits et légumes frais), un taux d’espace vide de maximum 50% dans les emballages, et 5% de réduction d’emballage d’ici 2030.
Exemple de réduction à travers les filière REP
Les entreprises, dont la filière REP des emballages est l’éco-organisme CITEO, ont un système de bonus-malus en faveur des réductions d’emballage de plastique :
- un bonus proportionnel au % de réduction du montant de la contribution Citeo,
- et 2 nouveaux malus d’ici 2025 : sur les emballages en lot et les produits liquides de moins de 50 cl afin d’encourager les grands formats, aller vers plus de format souple, enlever les plastiques peu utiles.
Ce système n’est pourtant pas encore assez ambitieux pour être vraiment dissuasif au vu des normes …
Cependant, de nombreux points sont à nuancer sur les applications de ces réglementations.
Le dossier «Evaluation de la loi AGEC» de l’association Zero Waste, publié en 2024, pointe les limites du contrôle de l’État et ses sanctions pour ceux qui ne respectent pas la loi AGEC, ainsi que de nombreux retards et écarts dans son application.
Par exemple, la loi devait interdire les emballages en plastique pour les fruits et légumes, mais a finalement enlevé 29 fruits et légumes, les fruits mûrs et les herbes aromatiques de cette interdiction, à la suite d’un recours d’entreprises de plastiques au Conseil d’État. Ou encore, une opération de vérification début 2023 a permis d’établir que sur 286 fast-foods analysés, plus de la moitié utilisaient encore du jetable.
Certains produits plastiques qu’on ne sait pas encore recycler, comme le polystyrène, devaient être interdit d’ici 2025 selon la loi Climat et résilience de 2021, sauf si ces matériaux intègraient une filière de recyclage d’ici là. Actuellement aucun processus de recyclage n’est découvert, mais une proposition à l’Assemblée nationale à évoqué de retarder l’interdiction du polystyrène à 2030.
De plus, la branche du recyclage chimique, qui est une technique très chère, énergivore et dont les effets restent inconnus, n’est pas encore réglementée. Cette technique de recyclage empêche de se tourner vers le problème de la réduction des déchets.
Article de Zero Waste sur le recyclage chimique : en Normandie, le projet de recyclage chimique Eastman suscite l’inquiétude
Au niveau des politiques publiques
Les Programmes locaux de prévention des déchets ménagers et assimilés (PLPDMA) sont obligatoires depuis 2015 pour les collectivités territoriales, et visent à coordonner les actions des collectivités et des entreprises pour limiter les déchets ménagers et assimilés. Celui de la MAMP concerne la période 2019-2025, et se concentre sur la production des déchets, et les modes de consommation. Il s’appuie sur la sensibilisation des habitant·es, la mise en relation avec des associations favorisant le réemploi, des animations autour du compostage… La loi Climat et résilience de 2021 oblige les magasins de plus de 400m2 à proposer au moins 20% de vrac d’ici 2030.
Voici quelques initiatives que vous pouvez retrouver sur le territoire de la MAMP (liste non-exhaustive) :
Déploiement de l’autocollant « Stop Pub » (la 
Limites et leviers d’actions
La gestion des déchets dans la MAMP fait face à de nombreux défis de taille, malgré des efforts fournis de la part des services publics : c’est en effet la 2ème métropole de France en termes de production de déchets après la métropole du Grand Paris. Pourquoi ?
- Un fort retard de sensibilisation de la population : donner confiance aux citoyen·nes dans la gestion des déchets et sensibiliser aux alternatives,
- La collecte des déchets est souvent signalée comme irrégulière, et certains quartiers se plaignent particulièrement de la propreté des rues, comme dans l’hypercentre de Marseille. Les collectes y sont parfois difficiles car les rues sont étroites et parfois bouchées par des stationnements illégaux,
- Le tourisme : demande une sensibilisation particulière et augmente le nombre de déchets consommés et jetés en ville qui ne sont pas triés, car il n’y a pas toujours de poubelles de tri dédiées,
- Des volumes de déchets à enfouir qui ne diminuent pas assez vite au regard de la norme, ce qui fait pression sur les centres d’enfouissement,
- Les dépôts illégaux de déchets, principalement par des professionnels (une décharge sauvage dans le 2ème arrondissement a pris feu en 2023 et en 2022, La Provence)
- La gestion des risques des centres de stockage, dont les volumes stockés sont parfois supérieurs aux volumes autorisés, et les normes incendies non respectées
Cas pratique : Incendie du centre de stockage de Saint-Chamas
Ressources
Pour aller plus loin, voici une présentation de l’application Sentinelles de la Nature, produite en collaboration entre le média jeune public Qui Vive et FNE Paca :
