« Scrubbers » et pollution maritime : une première victoire

Le 21 octobre dernier, le Tribunal correctionnel de Marseille a condamné le capitaine d’un navire, un vraquier de 400 tonneaux, lequel avait utilisé un « scrubber », soit un épurateur, en boucle ouverte dans la zone des 3 milles nautiques malgré l’interdiction. Conformément à leurs missions statutaires, les associations France Nature Environnement Provence-Alpes-Côte-d’Azur et FNE Bouches-du-Rhône s’étaient constituées parties civiles en raison des dommages causées à la flore ou la faune, les effluents rejetés contribuant à l’acidité des eaux et à la dégradation de l’habitat sous-marin.

Un scrubber, dispositif de plusieurs millions d’euros, est un «épurateur» des fumées d’échappement des navires. Utilisé en boucle ouverte, il prélève de l’eau de mer et lave (ou refroidit) les cheminées des navires en aspergeant cette eau mélangée avec des produits chimiques, permettant ainsi aux fumées d’échappement d’être moins chargées en soufre tout en utilisant un fioul lourd. Ces filtres permettent en effet aux navires d’utiliser un carburant moins cher mais plus polluant, en rejetant les résidus de soufre en mer.

Cette eau devenue boue est hautement polluée et toxique, et contient notamment :

•  Des contaminants métalliques (Vanadium, Zinc, Cadmium, Lead et Nickel) et organiques, des résidus de fioul, les HAP (Hydrocarbures aromatiques polycliniques). Ces métaux ne sont pas biologiquement dégradables et peuvent se bioaccumuler à divers degrés ;

•  Des substances et des éléments chimiques dérivés de la combustion du fioul lourd tels que les Sox (oxydes de soufre), Nox (oxydes d’azote), particules fines et carbone suie.

La vigilance des associations au cœur des poursuites

Au cours des dix dernières années, afin de répondre aux objectifs internationaux fixés pour limiter les émissions dans les airs, les scrubbers sont apparus comme un dispositif de substitution et se sont ainsi multipliés à bord des navires. S’ils contribuent effectivement à réduire de 95% des émissions atmosphériques, cela n’est pas sans conséquences pour le milieu marin puisque l’eau, qui sert à laver ces filtres et le soufre qu’ils contiennent, est directement rejetée en mer.

Cette pollution plus discrète apparait certes moins stigmatisante mais n’emporte pour autant pas moins de répercussions sur notre environnement, et c’est le milieu marin qui en fait les frais. En effet, le déversement des eaux de lavage du scrubber produit des effets dévastateurs sur l’environnement : acidité de l’eau, eutrophisation des océans, turbidité, dégradation des habitats, perturbation des processus biogéochimiques marins naturels etc.

“Le fioul qu’utilisent les navires, même lorsqu’il respecte la réglementation, reste 100 fois plus polluant que le diesel. La philosophie des scrubbers, c’est dire qu’au lieu de polluer l’air, on va polluer la mer”. Isabelle Vergnoux, avocate

Une condamnation qui fait jurisprudence

L’affaire concerne le navire Seaforce, immatriculé à Malte pour le compte d’un armateur grec. Suite à un contrôle du soufre, il est ressorti que le navire avait utilisé un scrubber en boucle ouverte dans la zone des trois nautiques de la terre et dans l’enceinte portuaire de Fos-sur-Mer c’est-à-dire en rejetant directement les eaux de captation de soufre dans cette zone, ce qui est strictement prohibé.

Prévenu du chef de pollution de la mer territoriale, le commandant du navire, malgré 23 ans d’ancienneté, a indiqué ne pas maitriser correctement le fonctionnement du scrubber, ignorant ainsi la quantité des émissions rejetées dans la mer.

Le Tribunal a reconnu la faute pénale du capitaine sur le fondement de la violation manifestement délibérée d’une obligation de sécurité ou de prudence.

Le capitaine a ainsi été condamné à verser 50.000 euros d’amende conformément aux réquisitions du Parquet, ainsi que la somme de 8.000 euros de dommages et intérêts à chacune des deux associations représentées au titre de leur préjudice moral, outre l’article 475-1 du code de procédure pénale. Les autres associations représentées ASPAS - Association pour la protection des animaux sauvages, LPO Provence-Alpes-Côte d’Azur et Surfrider Foundation Europe, également parties civiles dans cette affaire, recevront la même somme.
Cette décision peut être frappée d’appel dans les 10 jours.

La décision est importante puisqu’il s’agit de la première jurisprudence française rendue sur cette thématique.

Un autre délibéré dans une affaire sur les scrubbers également rendu ce jour, a reconnu la culpabilité du capitaine et l’a condamné à 60.000 euros d’amende. L’audience sur intérêts civils a été renvoyée en mars 2025. Affaire à suivre, donc…